présentation des peintures synchronistiques

dimanche, octobre 17, 2010

Peinture et architecture : le rêve géométrique de la Renaissance et du classicisme

Personnages dans un décor d’architecture et de jardins imaginaires, école hollandaise du XVIIe s., huile sur panneau de chêne, 55x95cm, collection privée


Filippo Brunelleschi, architecte du dôme de Santa Maria del Fiore à Florence (commencé en 1420), inventeur de la perspective géométrique et découvreur de l’architecture romaine antique, est la figure princeps de l’artiste rationnel. C’est lui qui le premier repensa la scène urbaine comme une harmonie géométrique : en témoigne le projet de l’Hôpital  des Innocents, avec son arcade urbaine à colonnes corinthiennes sur la place Santissima Annunziata, qui a été complétée sur deux autres côtés dans les décennies suivantes par ses émules Michelozzo, A. Sangallo le Vieux, et B. d’Agnolo.
Veduta de la place Santissima Annunziata, estampe de Giuseppe Zocchi, XVIIe s.


Mais pour que l’espace urbain géométrique idéal conçu à Florence au quattrocento arrive à conquérir l’imaginaire européen, à une époque où relativement peu de monde était en mesure d’aller admirer de visu en Toscane, à Rome, ou en Vénétie, les réalisations de Brunelleschi, d'Alberti, et de leurs successeurs, il faudra le remarquable travail des peintres et graveurs, qui formeront et répandront le goût urbain classique, de l’Espagne à la Suède. C’est eux qui illustrent les traités d’architecture vitruvienne et les traités de géométrie, eux qui rapportent de leurs voyages en Italie des vues des palais renaissants et des ruines romaines, eux qui font de la vue de ville idéale un thème de choix pour décorer les murs des salons et les panneaux des cabinets de travail.

Dans l’Europe centrale et l’Europe du nord, les plus influents parmi ces artistes "diffuseurs" furent un peintre-architecte frison et son fils : Hans et Paul Vredeman de Vries. On doit à l’un et à l’autre de nombreux tableaux représentant des décors urbains imaginaires, composés de somptueux palais idéaux; on leur doit aussi un traité sur l’art des jardins (Hortorum viridariorvmque elegantes et multiplices formae... 1583), et surtout deux traités d’architecture vitruvienne (1577-1582), dont le premier, publié à La Haye en  1606 sous le titre Les cinq rangs de l’Architecture a scavoir Tuscane, Dorique, Ionique, Corinthiaque, et Composée, sans texte explicatif, met les cinq ordres architecturaux théorisés par Vitruve en relation avec les cinq sens. En plus des dessins techniques représentant les colonnes et leur entablement, les Vredeman livrent dans cet ouvrage des paysages géométriques idéaux, faits pour marquer l’imagination. Ces gravures, très diffusées, servent de modèles à toute une génération d’artistes hollandais qui, durant la première moitié du XVIIe siècle, délaissent le contenu architectural rigoureux du traité et  composent des caprices architecturaux propres à séduire aristocrates et bourgeois, et à préparer leur imaginaire à l’accueil d’une architecture classique, adaptée des modèles italiens.

Voici par exemple un dessin de Paul Vredeman, illustrant l’ordre ionique associé à l’odorat ; au-dessous, la gravure qu’il en a tiré pour son traité d’architecture. A comparer à une peinture anonyme hollandaise (en frontispice de cet article), sans doute réalisée entre 1620 et 1630, qui reprend la scénographie de la gravure, mais se libère du message architectural et allégorique : l’ordre est devenu toscan, l’escalier à balustres a disparu, ainsi que la femme avec son bouquet, qui , sur la gravure, symbolisait l’odorat. Elle fut sans doute jugée par le peintre trop encombrante, et de nature à porter ombrage à la pure rêverie architecturale.
Paul Vredeman de Vries, Perspective d’une rue avec l’escalier d’un palais sur la gauche, 
Plume, encre de Chine et d’indigo, 22x35cm, conservé à l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux Arts de Paris

Exemplaire gravé pour le traité d’architecture, avec une figure féminine symbolisant l’odorat.

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